Le cinéaste et romancier Alain Jessua, né en 1932, est mort hier d’une double pneumonie. Au mois d’avril, une rétrospective proposée par la Cinémathèque française avait permis de redécouvrir son œuvre singulière, où l’angoisse oscille entre l’effroi et le sarcasme. A travers des films à la forme très classique et des castings prestigieux (Girardot, Cassel, Delon, Depardieu, Dewaere, Dutronc, Baye…), il a été l’un des seuls à avoir systématiquement abordé, au sein même du cinéma commercial français, ces genres peu prisés dans ce pays que sont l’anticipation, le fantastique et l’horreur.
Jessua avait eu la chance de débuter comme stagiaire sur Casque d’orde Jacques Becker, puis d’être l’assistant, entre autres, de Max Ophls sur Lola Montès. Son court métrage Léon la lune (1956) lui valut le prix Jean-Vigo, avant qu’il ne s’impose comme un jeune auteur plein de promesses avec la Vie à l’envers (1964). Ce film, qui reste son meilleur, suscita notamment l’admiration de Marguerite Duras, Georges Perec et Martin Scorsese. L’histoire de cet agent immobilier (Charles Denner) se détachant progressivement de toute activité, de tout engagement social ou sentimental, jusqu’à trouver la sérénité dans la blancheur et le silence d’une chambre d’hôpital psychiatrique, contenait déjà toutes les obsessions du cinéaste : la quête du bonheur, la folie germant au cœur du quotidien, du familier.
En devenant son propre producteur, il était parvenu à prolonger obstinément l’inquiétante étrangeté de ce premier film. Tous les suivants sont également des descriptions cliniques de délires solitaires ou collectifs vécus par des individus ou des communautés égarés dans une définition erronée du bonheur ou de la réussite, aboutissant inévitablement au crime ou au totalitarisme : Jeu de massacre (1967), Traitement de choc (1973), Armaguedon (1977), les Chiens (1979), Paradis pour tous (1982).
Après trois films plus mineurs, voire improbables (Frankenstein 90, 1984 ; En toute innocence, 1988 ; les Couleurs du diable, 1997), ne trouvant plus d’argent pour le cinéma, Jessua se lança dans l’écriture en 1999, signant huit romans dans lesquels on retrouve un même goût de l’insolite et du fantastique.