Disparition de Laurent Achard

Par Jean-Marc Lalanne, les Inrocks le 26 mars 2024

Le cinéaste de 59 ans est décédé dans le 25 mars dernier. Retour sur un œuvre hantée par les peurs et les blessures de l’enfance et portée par une grande puissance expressive de la mise en scène.

Depuis ses premiers courts métrages, l’œuvre de Laurent Achard a accompagné la vie de ce journal. Nous aimions ses films, nous l’avons souvent rencontré et lui avons donné la parole. Par-delà la stupeur et la vive émotion que provoque sa disparition brutale, à 59 ans (d’un arrêt cardiaque), se mêle un sentiment mixte : le regret, d’une part, qu’un cinéaste aussi doué n’ait pas tourné davantage (seulement trois longs métrages de fiction) et le sentiment, tout de même, que cet archipel où se confondent différents formats (outre les trois longs, quelques courts métrages immenses, ou encore des portraits documentaires de cinéastes pour la télévision) constitue une œuvre importante. Et, in fine, passé le regret de l’avoir imaginée plus profuse, extrêmement accomplie en l’état.

L’enfance en filigrane

Quelques minutes suffisent pour comprendre que Laurent Achard ne vit et ne respire que pour, à travers et par le cinéma. Il y pense tout le temps, ne cesse d’imaginer la vie des gens qu’il croise…”. Ainsi débutait le portrait que Jean-Baptiste Morain consacrait en 2011 au cinéaste dans Les Inrocks. Il y décrit aussi le peu de goût qu’avait Achard pour les confessions biographiques, le mystère qu’il entretenait sur son enfance dans l’Yonne, sa famille, ses origines. Tout au plus laissait-il entrevoir qu’ils comportaient des failles profondes, dans lesquelles se sont engouffrés ses films. L’enfant est le coeur de son cinéma, l’agent de ses fictions et le vecteur du regard et de la mise en scène.

Et ce dès le court métrage, son second, qui lui vaut une large reconnaissance : Dimanche ou les fantômes, présenté à Cannes en 1994 avant de connaître un parcours jonché de prix en festivals. Revu trente ans après, le film reste miraculeux de maîtrise et de grâce. C’est dimanche, pas n’importe lequel, celui de la fête des mères. Une jeune femme et son fils en profitent pour faire un pique-nique près d’une rivière. Pas loin, un sexagénaire pêche à la ligne. Tout autour, deux comparses inquiétants rôdent.

Le remugle de la nature, le clapotis de la rivière composent une partition faussement édénique et progressivement asphyxiante. Quelque chose de terrible pourrait advenir, s’est peut-être même déjà produit. Et le petit garçon, entre baignades et excursion solitaire dans la forêt, se bat avec des bribes de signes, d’inquiétantes prémonitions. Finalement, seul est mort un poisson rouge. Mais quelque chose d’affreux s’est tramé dans la doublure du réel et y a incrusté ses stigmates.

Et le danger en toile de fond

À Dimanche et les fantômes succède un autre film court, Une odeur de géranium, qui connaît également un beau parcours de festivals ; puis un premier long, tourné en 1998, Plus qu’hier, moins que demain. Le film réorchestre beaucoup d’éléments déjà présents dans les courts, et constitutifs de l’univers de Laurent Achard (la présence d’une rivière, la relation petit frère/grande sœur, le monde ouvrier et rural, l’imminence d’un danger), mais les projette dans une lumière plus solaire.

Dans cette chronique familiale le temps d’un week-end, chaque personnage est porteur de souffrances, d’insatisfactions, de blessures pas cicatrisées, et pourtant le régime de la quotidienneté, une atmosphère pastorale un peu réconfortante embrassent les gerçures de chacun·e et endiguent un peu la noirceur à l’œuvre dans la totalité de l’œuvre.

 

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